Le contrat à impact social : outil d’avenir pour financer l'innovation au service de l'intérêt général ?

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Lancés en 2010 au Royaume-Uni, on compte à l’heure actuelle une centaine de contrats à impact social (CIS) dans le monde. Bien que chacun de ces outils de financement adopte une structure unique, les CIS présentent certaines constantes : un porteur de projet mène un programme à impact social innovant, financé en amont par des investisseurs privés, et visant à prévenir des problématiques de société (chômage, santé publique, récidive…). Si le programme atteint les objectifs fixés, mesurés par un évaluateur indépendant, les investisseurs sont remboursés par la puissance publique concernée par l’impact social du programme.

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En France, le CIS se trouve encore à l’état d’expérimentation, le Ministère de l’Economie ayant lancé en mars 2016 un appel à projets pour inviter les porteurs intéressés à se rapprocher des autorités. Au total, 13 projets ont ainsi été labellisés en vue d'une contractualisation entre les différentes parties prenantes.

A ce jour, deux projets sont opérationnels. Aussi, Yes a souhaité se rapprocher du porteur de l’une de ces initiatives, l’Adie, ainsi que de Sb Factory, société de conseil en Social Business, pour recueillir leur opinion sur cet outil de financement.

Une réponse à des besoins de financement

Le contexte est bien connu : la baisse des financements publics est une réalité à laquelle sont confrontées chaque jour les structures de l’économie sociale et solidaire (ESS), quelle que soit leur taille. Ainsi, bien qu’elle soit la principale association de microcrédit en France finançant les personnes éloignées du marché du travail et du crédit bancaire pour leur permettre de créer et développer leur entreprise, l’Adie n’a pas hésité à répondre à l’appel à projets de Bercy.

“Nous souhaitions développer une offre de microcrédit adaptée à la ruralité en Ariège, Alpes et Bourgogne” explique Marc Olivier, Responsable ALM et refinancement à l’Adie. “Pour cela, nous avons imaginé le concept de financement à distance adossé à un accompagnement de proximité assuré par un réseau de bénévoles. Cependant, aucune subvention n’était disponible afin d’expérimenter notre projet”.

En effet, “ l’innovation sociale est assez peu financée par les autorités en France” confirme Pauline Johner Heuzé, Fondatrice de Sb Factory. “Tout l’intérêt du contrat à impact social est donc de fournir un outil de financement pour tester un concept et faire ainsi la preuve de son efficacité”.

Le CIS a ainsi été pensé de manière à concilier les intérêts de l’ensemble des parties prenantes : Les investisseurs privés se voient remboursés par palier avec prime de risque en cas de succès (4%-5% de l’investissement initial)[1], ce qui limite les possibilités de pertes financières et permet un retour économique. Les autorités publiques n’ont pas à porter le risque de l’expérimentation et disposent à l’issue du projet pilote d’un concept qu’elles pourront intégrer à leurs politiques publiques pour répondre à d’autres problématiques sociales du même ordre. L’ambition des CIS est également de convaincre les autorités qu’elles pourront réaliser des économies par la prévention : dans le cas du projet porté par l’Adie, l’association souhaite démontrer que fournir des microcrédits dans les zones rurales isolées permet d’y créer de l’activité économique, de générer de l’emploi, et donc d’éviter aux collectivités de payer des minima sociaux. Quant aux associations, ces dernières reçoivent l’assurance de voir leur projet financé sur un temps long (4-5 ans en moyenne) une véritable révolution par rapport aux subventions qui ne couvrent habituellement qu’une année.

L’impact social au cœur du projet

Le CIS se construit autour de la notion d’impact social : c’est l’atteinte d’objectifs d’intérêt général prédéterminés qui conditionne le remboursement de l’investisseur, et éventuellement les suites données au projet. Une visibilité à long terme qui pourrait faciliter le travail des associations par rapport aux subventions dites “classiques” : “ Si nous atteignons les objectifs contractualisés au moment du montage du CIS [500 bénéficiaires sur les trois territoires concernés et 320 insérés au bout de 3 ans, nldr], aucune des parties prenantes ne pourra nous déclarer que le projet est un échec. Cela devrait faciliter la poursuite des financements, car personne n’aurait intérêt à arrêter une initiative qui fonctionne et apporte une réelle réponse à un enjeu de société” confie Marc Olivier à propos de l’Adie.

L’enjeu est donc de fixer les indicateurs d’impact appropriés lors du montage du CIS. Outre la complexité juridique d’organiser les relations entre les diverses parties prenantes, cela constitue l’une des principales difficultés de cet outil de financement alors que nombre d’associations sont novices dans les questions de mesure d’impact. Mais pour Marc Olivier, les CIS pourraient justement être l’occasion pour des associations de développer des outils de mesure de leur performance sociale.

Vers une généralisation des contrats à impact social ?

En l’état actuel, peut-on imaginer que les CIS se généralisent en France ? Pour Marc Olivier comme Pauline Johner Heuzé, des précautions sont à prendre.

D’une part, le CIS ne doit en aucun cas venir se substituer aux subventions. En effet, il est nécessaire de garder à l’esprit que ces contrats constituent initialement un surcoût pour l’Etat en raison du versement d’une prime de risque aux investisseurs. Cette prime doit donc être justifiée par le caractère hors norme du projet, ce qui élimine de facto les initiatives se positionnant en dehors du champ de l’expérimentation et de l’innovation.

D’autre part, le contrat à impact social est pensé pour des projets de grande ampleur (de l’ordre d’un à trois millions d’euros). Pour des initiatives requérant des sommes moindres, les coûts d’ingénierie de projet dus à la nature unique de chaque CIS surpassent les montants nécessaires à la mise en œuvre de l’action. “ C’est pour cette raison que nous espérons pouvoir établir quelques modèles sur la base des retours d’expérience des 13 projets labellisés actuellement en cours de développement. En capitalisant sur la méthode, nous souhaitons pouvoir l’adapter plus vite aux futurs CIS et permettre ainsi des réductions de coûts” explique Pauline Johner Heuzé. Ces coûts impliquent également que les CIS resteront probablement cantonnés à des associations ayant la capacité d’allouer des ressources importantes à leur développement. Il paraît alors légitime de se demander si ce nouvel outil de financement ne creusera pas davantage l’écart entre petites et grandes associations dans l’accès aux fonds publics…

Autre frein à la généralisation mis en lumière par Pauline Johner Heuzé : une sensibilisation encore trop faible de la puissance publique qui “regarde l’outil - certaines collectivités étant même prêtes à l’utiliser - mais reste frileuse”.  Un constat partagé du côté des associations : “ Nous sommes en train de développer des programmes en supposant qu’ils seront généralisés s’ils fonctionnent, ce qui est la vocation première du CIS. Cependant, aucun engagement à pérenniser les projets n’a été pris par la puissance publique” explique Marc Olivier.

La solution à ce problème, Pauline Johner Heuzé la voit dans la création d’un Fonds de dotation à impact garanti, actuellement en réflexion. Dès son lancement, il devrait permettre à des philanthropes de se poser en payeur final aux côtés de la puissance publique et de financer les CIS à travers des dons alors que les investisseurs actuels utilisent uniquement leur enveloppe dédiée aux investissements. Pour les supporters du CIS, il s’agit là de l’occasion pour les collectivités disposant de moyens plus réduits de s’emparer de ce nouvel outil grâce au soutien du secteur privé. Ses détracteurs y voient plutôt le symbole d’un désengagement de l’Etat des questions sociales.

Le CIS étant encore un outil jeune en France, les questionnements quant à son architecture et la place allouée à chacune des parties prenantes trouveront certainement une réponse dans les années à avenir et suite aux expérimentations en cours. Dans l’immédiat, il est indéniable que le contrat à impact social bouscule les rapports entre sphères publique, privée et ESS en réinventant les relations entre chacun de ces acteurs. En ce qui concerne le secteur privé, les CIS pourraient constituer une manière innovante d’aborder sa responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Les autorités cessent quant à elles de fixer au préalable les modalités d’intervention de l’action sociale pour se concentrer sur l’impact final escompté tandis que les associations participent pleinement à l’ingénierie du projet. En favorisant l’expérimentation locale en vue de nourrir l’action publique d’enseignements pratiques, les CIS préfigurent donc peut-être dans la conception des politiques publiques de manière plus « bottom-up ». Evolutions à suivre donc !
 

[1] Contre 14%-15% dans le modèle britannique des Social Impact Bonds (SIB) 

Illustration : © YES Financements

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